La réunion secrète des quatre grands

2/4/1947

(De notre envoyé spécial à Moscou, Georges Le Brun Keris)

On s'épuise en interprétations sur le communiqué laconique que les ministres ont donné à l'issue de leur réunion secrète. Ils ont parlé des réparations, ils ont parlé du niveau industriel et ne sont parvenus à aucun accord. Sur le détail de leurs discussions, ils ont décidé qu'ils ne communiqueraient rien.

Bien des interprétations sont possibles. Les ministres se sont-ils tout simplement rendu compte que cette séance secrète avait un caractère prématuré ? Qu'ils n'avaient pas encore fait le tour de toutes les questions et peut-être eût-il mieux valu attendre jeudi ou vendredi c'est-à-dire que tous les problèmes aient été revus pour entamer le cycle des séances secrètes avec des chances d'accord ? Ou bien un début de décision a-t-il été pris, et attend-on simplement quelques données techniques pour connaître cet accord ? Enfin, dernière interprétation : ce communiqué laconique ne sonne-t-il pas le glas de la conférence ? Toutes ces hypothèses ont leurs partisans. Je crois seulement que chacun adopte telle ou telle d'entre elles plus en fonction de son tempérament propre que d'après des données réelles. Le plus généralement, on est assez frappé que cette séance secrète ne soit pas suivie d'une ou plusieurs autres et on interprète le fait dans un sens pessimiste.

Et pourtant, les suggestions présentées par M. Georges Bidault, lundi, permettaient sans doute de sortir la conférence de l'impasse où elle est enfermée. Elle bute sur le dilemme exportations ou réparations. Les Anglais et les Américains refusent d'admettre l'idée de réparations sur la production courante, sous prétexte que l'Allemagne doit, avant tout, payer ses importations. Mais, ne serait-il pas possible à des experts d'étudier si cette affirmation est valable, ou si, au contraire, la balance commerciale allemande ne peut, dans un proche avenir (les experts français pensent mai 1948), présenter un solde bénéficiaire applicable aux réparations ?

Cette étude, les Anglais et les Américains s'y refusent jusqu'ici. Ils craignent, en donnant leur accord, de paraître accepter le principe même des réparations sur la production courante et de se trouver engagés même si les conclusions des experts ne permettent pas d’espérer ce solde bénéficiaire. Ne pourraient-ils pourtant consentir à cette étude en assortissant en quelque sorte leur consentement d'une condition suspensive ? Cette question a été certainement soulevée hier après-midi et, bien entendu, on ignore le sens qui lui a été réservé. Autrement dit, on ignore toujours quelle sera l'issue de la conférence, même si les voix pessimistes sont les plus nombreuses dans les couloirs de l'hôtel Moskowa.